Douar des Temps Modernes (pour une écologie locale dans un monde global)#5
De la nature de l'écologie politique
Beaucoup, parmi nous, considèrent que l’écologisme est une idéologie, politique, mais aussi économique, qui a vraiment vu le jour bien après le milieu du 20ème siècle. Ils ou elles assimilent ce courant d’idées comme historiquement en opposition avec le système économique et social qui régit le Monde depuis la première révolution industrielle.
Doit-on admettre une telle origine à l’écologisme sans chercher à la remonter beaucoup plus loin dans le temps ? À un passé beaucoup moins honorable, par certains aspects, que celui le plus souvent revendiqué par les écologistes de l’Europe du Nord, autant que ceux des Etats Unis...
Que pourrions-nous ainsi en déduire sur le rôle historique des pays dits « du Sud » dans l’émergence d’une conscience écologique moderne ? Sommes-nous, dans cette histoire, si orphelins d’un tel héritage ? Je serais tenté de ne pas me résigner à une telle innocence de bon sauvage ; mais dans une mesure bien particulière, avec une approche plus raisonnée que chargée de subjectivités stériles.
Il est certes naturellement admis par nombre d’écologistes contemporains que l’existence d’un discours qui place l’écologie au rang d’argument politique remonte à peu près aux années mille neuf cent soixante-dix. Notamment avec l’émergence de la mouvance « New Age » aux tendances très hippie ; elle fut sans contexte une des grandes créations du « Californian dream » qui s’exporta largement en Europe. Il est d’ailleurs amusant de se rappeler que ce fut lors de la première « Ruée vers l’Or », des siècles bien avant, que toute une culture, mais aussi une propagande médiatique, fit de la Californie le laboratoire d’une série de petites révolutions sociales, politiques et économiques, comme elle fut et demeure un des berceaux de l’intelligence artificielle, autre grande révolution qui n’a pas fini de s’inviter dans nos quotidiens présents et futurs.
On cite régulièrement, aussi, pour donner une origine plus officielle à l’écologie politique, le fameux rapport de Rome qui dénonça à cette même période, à la face d’un monde en pleine euphorie consumériste, les limites physiques d’un système mondial fondé sur une croissance économique continue. De même que le premier « Sommet de la Terre », peut être considéré comme la pierre fondatrice du régime écologique mondial actuellement en vigueur. L’ONU, en tant qu’outil de gouvernance multilatérale, sera un des acteurs parmi les plus influents et innovants dans l’émergence de tout un cadre d’idées, de process, mais aussi de diplomatie internationale relatifs à l’écologie ainsi que l’environnement dit « mondial ».
On sait bien que l’Europe, particulièrement celle du Nord, jouera un rôle essentiel et fondateur dans la création d’un mouvement écologique politique, autant que dans la recherche écologique ; que nombre des auteurs fondateurs de l’écologisme ne sont pas seulement américains. De Rousseau, en passant par Defoe, Goethe, Jack London, et tant d’autres, la littérature romantique européenne, puis le mouvement « Wilderness » américain posèrent également les bases culturelles de toute une idéologie de la nature, que nous ne pouvons ignorer dans tous les aspects de la culture écologique occidentale qui sera largement mondialisée par Hollywood. L’écologisme doit également beaucoup à la musique, aux peintres, aux cinéastes, ainsi qu’à toutes les façons de chanter la nature, de militer pour son respect. Il est clair que de tous ces points de vue, l’écologisme est un produit de l’histoire occidentale moderne. Une suite logique au siècle des Lumières ainsi que de l’indépendance américaine, certes...
Mais que pourrait-nous apprendre, sur la nature de cette écologie rendue politique, en la faisant remonter au régime historique qui fit de la découverte du «Nouveau Monde » l’an zéro d’un « Monde Moderne » fondé notamment sur l’exploitation darwiniste du plus faible par le plus fort. Où l’écologie, la science, sera progressivement inventée, puis développée dans le sillage des nombreuses expéditions coloniales qui jalonnèrent l’essor de la première révolution industrielle mondiale. Comment oublier que l’écologie fut aussi un des outils les plus précieux et utiles au colonialisme européen, puis nord-américain ? Pour comprendre les territoires exotiques qui lui fallait dompter dans le but malsain d’en tirer un profit rendu légitime par la seule suprématie des armes et des idées du Siècle ? Pourquoi le système colonial France a été si prolifique à étudier l’écologie de notre pays, bien avant de le coloniser ? Pour la préserver, à des fins seulement louables ? Comment ne pas en douter...
L’écologie, en tant que matière scientifique, n’est et n’a jamais été seulement une nouvelle source d’inspirations et d’argumentations pour bien des mouvements contestataires occidentaux, qu’ils soient anti capitalistes, pro socialistes ou bien libertaires. Tout une dialectique politique qui affiche sans la moindre ambiguïté la volonté d’inscrire la civilisation Humanité dans un paradigme moins éco suicidaire et prompt à favoriser le paupérisme sur Terre. Il ne faudrait pas se méprendre à ce propos, une autre dialectique écologique, très politisée, a existé et existe encore.
L'écologie fut et demeure également un formidable sujet de propagande, une niche de développement économique qui a de tout temps intéressé nombre d’économistes ainsi que de politiciens; et ce même parmi les plus inscrits dans une conception mercantile de l’environnement. Pour justifier justement le maintien d’un ordre établi, produire des arguments de propagande qui rivalisent de créativité et d’efficacité avec le discours des altermondialistes, ou bien des militants activant dans un sens qui est tout à fait contraire au monde qu’il ont presque façonnés à leur image.
N’entendons-nous pas si souvent des arguments donnant une valeur marchande à la biodiversité pour militer pour sa conservation ? Qui se souvient que ce terme désigne justement une telle approche de la nature ? La biodiversité comme un produit exploitable qu’il faut conserver; là où le courant de la préservation lui invoque également une valeur culturelle, une source non quantifiable en argent comptant de bien-être. La science établie, celle qui a les bonnes grâces de la gouvernance politique, du marché mondiale, elle aussi sait faire de l’écologie un formidable cheval de bataille ; pour ne pas dire de Troie. Combien d'écologistes qui ont une foi aveugle dans le développement durable, les nouvelles technologies, sans vraiment avoir un regard un tant soit peu averti sur ces questions?
Pendant très longtemps, d’ailleurs, les mouvements « Verts » les plus en vogue dans la sphère « écolo » mondiale, ONG, partis politiques, collectifs citoyens, avaient plutôt tendance à se méfier de la science dite « officielle » ; notamment quand il s’agissait d’environnement. Le cas du nucléaire, des OGM et du gaz de schiste sont criants à cet égard. Mais, quand il s’agit de climat, faute de pouvoir développer les moyens considérables d’une expertise indépendante, tout ce beau monde révolté, cite à présent les travaux d’un organisme très intime avec l’ONU, le GIEC? comme une source de preuves irréfutable ; le doute devient scepticisme, irresponsable, criminel même...
C’est là, il me semble, un des indices qui pourrait nous inviter à nous défier de la prétendue objectivité de nombres d’écologistes occidentaux contemporains au régime climatique mondial ; car pour une fois, je trouve que leur volontarisme à faire la promotion, consciente ou inconsciente, d’un capitalisme vert ou d'une économie verte les rend les idiots utiles d’un régime écologique qui commence à leur échapper ; faute d’avoir la compétence scientifique ou les moyens structurels pour la contester. La formidable machine administrative et pédagogique onusienne et donc anglo-saxonne, en ombre chinoise, semble avoir capté la plus grande partie du discours écologique actuel en le focalisant sur la question climatique...
Mais est-ce bien la première fois, dans l’histoire, qu’un argument écologique devient l’objet d’un consensus social ?
Diana K.Davis, une historienne américaine, dans son oeuvre "Les mythes environnementaux de la colonisation française du Maghreb" fait un constat sans appel sur l'intime relation entre écologie et politique qui fut établie dès les prémices de cette science: "Le mythe colonial d’un long déclin environnemental de l’Afrique du Nord causé par les autochtones a structuré et encouragé l’aventure française pendant un siècle"...
A suivre...