« Ces métiers verts algériens que l’on ne connait pas forcement. » Par Karim Tedjani.
Beaucoup d'emplois verts sont liés à des secteurs de pointes...
(Photo prise dans une usine de dessalement d'eau de mer à Targui - Ain Temouchent-)
« L’économie verte, une affaire de bon sens avant tout… »
Une étude réalisée par le programme germano-algérien « Deved » a annoncé récemment la possibilité de créer 1 400 000 nouveaux emplois en opérant une mutation « verte » de l’Economie de notre pays. Ces nouveaux métiers sont appelés « métiers verts » et ils sont directement liés au concept d’Economie verte qui a pour finalité de générer de la croissance économique tout en veillant à respecter l’environnement.
Pour la majorité des acteurs de la préservation de l’Environnement que j’ai pu rencontrer en Algérie, ce mode de gouvernance économique n’est pas applicable dans le contexte socio-économique actuel de notre pays. « Il faudrait déjà qu’il existe une vraie économie dans ce pays », affirme un économiste algérien lors d’un récent forum sur les emplois verts organisé par la Direction de l’Environnement de la wilaya de Aïn Temouchent. « Il n’y pas encore de véritable culture environnementale dans ce pays » me répondent généralement la plupart d’entre eux. Pour beaucoup, l’Economie verte fait appel à des procédés technologiques que notre pays ne maîtrise pas encore, de même qu’ils considèrent que la société algérienne n’est pas prête à assimiler cette « vue de l’esprit ».
Il est vrai que l’on présente souvent, en Algérie, les emplois verts comme étant des métiers demandant de sérieuses qualifications. Cela est dû au fait que, pour l’instant, quand on aborde le sujet de l’Economie verte, c’est avant tout pour parler de l’industrie du traitement des déchets et des eaux usées, de celle des énergies renouvelables. Usines de dessalement de l’eau de mer, centrales d’enfouissements techniques, centrales photovoltaïques et géothermiques, usines de recyclages sont des secteurs industriels qui se développent en Algérie et sont des niches d'emplois prometteuses pour les jeunes ingénieurs et cadres supérieurs algériens.
Certes, l’Algérie ne manque pas de jeunes diplômés, mais elle compte aussi beaucoup de jeunes non qualifiés qui ont besoin de trouver un emploi durable.
Une des volontés affichées par le programme du P.N.U.E est de « réduire les inégalités sociales ». N’est-il pas possible de faire aussi de l’Economie verte à une échelle plus humaine en créant des métiers verts moins « industriels». Faut-il forcement faire appel aux seules technologies complexes pour préserver l’environnement ? D’un point de vue curatif, ces procédés sont inévitables, mais quand on aborde la pollution sous un angle plus préventif , il est évident que de simples gestes au quotidien, des « petits » métiers, de simples procédés peuvent également participer à éviter bien des dégradations environnementales tout en créeant de la richesse.
De tels métiers existent déjà en Algérie, et cela ne date pas d’hier ...
Il suffit, pour les découvrir, de ne pas se limiter à chercher des solutions hors de nos frontières. Ainsi en identifiant ce que nous sommes déjà capables de créer par nous mêmes, nous pourrons mieux assimiler les savoir faires de nos voisins tout en les adaptant à nos particularités nationales. Dans son étude sur les emplois verts, le programme « Deved Algérie » annonce d’ailleurs qu’il existe déjà plusieurs centaines de milliers d’empois verts en Algérie.
J’aimerais vous parler, à ce propos, de deux P.ME algériennes qui ont su tirer profit du recyclage de certains déchets. Chacune a permis de créer des emplois pour de jeunes travailleurs peu qualifiés et participe à minimiser les impacts négatifs de notre développement sur l’environnement. Un des points communs entre ces deux P.M.E, est que leurs gérants sont des hommes d’un certain âge, qu’ils n’ont pas eu besoin de sortir de grandes écoles étrangères pour faire ce que l’on appelle à présent de l’Economie verte. Eux, se contentent de parler de bon sens, de bonnes idées….
« Du pain, rien que du pain… »
L'ingénieux "recycleur" et la présidente de l'association "Main dans la main" (photo: Tedjani K.)
En Algérie, manger sans pain est impensable, autant que de se restaurer sans une bonne bouteille de vin en France.
Beaucoup d’entre nous , ont pris l’habitude de vider de leur mie les morceaux de pain qu’ils consomment. Souvent les tables des restaurants sont garnies par de grandes quantités de "rhoubz" qui ne sont pas toujours consommées en fin de journée. Ainsi, bien que gaspiller la nourriture soit un acte répréhensible dans l'Islam, des montagnes de pains sont gachées chaque jour à travers tout le pays.
D’un autre côté, les éleveurs de volailles ont un besoin croissant de se fournir en nourriture. Il faut dire que les algériens sont de grands consommateurs de viande blanche, ne serait-ce qu’au regard du prix assez prohibitif de la viande rouge dans notre pays. Les farines alimentaires industrielles sont assez coûteuses et pèsent sur le budget des éleveurs de tous les bétails. De plus, leur qualité sanitaire , faute de contrôle récurrents, n’est pas totalement assurée.
C’est en faisant ces deux constats qu’un courtier en bétail, passionné aussi de mécanique, décide de se lancer dans l’aventure du recyclage du pain. Ce monsieur qui vit à Oran, a l’idée ingénieuse de fabriquer son propre broyeur de pain et de conditionner en farine alimentaire tout le pain sec qu’il peut trouver. Cette farine à base de pain, il la revend à un prix défiant toute concurrence aux éleveurs de sa région. Il rachète à beaucoup de gens des tonnes de pains à un prix lui aussi raisonnable, puisque la plupart de ses « partenaires » collecteurs arrivent à vivre de cette activité. Il vend aussi des broyeurs de sa fabrication.
Une idée simple et beaucoup d’ingéniosité...
Avec peu de moyens cet homme permet à des centaines de gens de s’assurer un revenu régulier. De ce fait des éleveurs peuvent nourrir leur bétail avec un produit peu coûteux dont ils connaissent la provenance et la composition. Pour l’environnement et la santé publique c’est aussi une bonne chose car cette activité réduit la quantité des déchets domestiques et évite l’utilisation de farines industrielle prohibées.
« Un fil conducteur entre le recyclage des déchets textiles et l’artisanat algérien… »
Ce n'est qu'une infime partie des déchets collectés par cette usine (photo: Tedjani K.)
Cette fois-ci nous sommes à Tlemcen, dans la zone industrielle, afin de rencontrer le patron d’une manufacture de tapis et de couvertures berbères fondée en 1957.
Son entreprise, pour faire face à une sensible diminution de cette activité dans les année 80, a dû progressivement orienté son activité vers la fabrication du fil à tisser. Comme la matière première était rare et que lui et ces associés rencontraient de nombreuses difficultés à l’importer, cette manufacture s’est transformée en une véritable petite usine de recyclage et de filage.
Ainsi, les locaux de cette usine ont été spécialement aménagés et équipés pour recevoir et traiter des tonnes de chutes de tissus. Ils sont transformés en fil à tisser ou en couvertures bon marché. Grâce à cette activité, il a été possible à cette entreprise familiale de générer des bénéfices et surtout de continuer à créer des emplois. Là aussi, les « partenaires » collecteurs tirent de ce commerce des profits durables.
Enfin, en continuant de gagner de l’argent, ce maitre tisserand peut continuer aussi à fabriquer des tapis et des couvertures berbères. En ajoutant du fil recyclé aux pelotes de laine qui servent à tisser certains modèles, il facilite leur entretien, permet de créer des produits moins onéreux afin de toucher un nouveau public plus jeunes et moins fortuné. La qualité étant toujours le maître mot de la maison!
Il suffit de constater l’âge avancé des machines utilisées pour comprendre que cela fait bien longtemps que l’on recycle des chutes de tissu dans cette usine de Tlemcen. Une fois de plus, cette entreprise est gérée par un homme âgé qui n’a pas suivi de cycle universitaire. Son idée ingénieuse lui a permis, certes avec des machines étrangères, de continuer à pratiquer son art tout en participant à la diminution des déchets textiles sur la voie publique. En prenant le parti de recycler, il a crée de nombreux emplois externes à son entreprise. De plus, en collaboration avec l'association oranaise "Main dans la main", il participe à la formation d’employées à domicile afin de donner du travail à des femmes rurales de la commune de Boutelis. Ces dernières peuvent ainsi s'assurer une certaine autonomie financière et surtout partciper à la vie économique de leur région.
Conclusion :
Bien sûr, on ne peut ignorer le fait que leurs machines sont assez rudimentaires. On pourrait même critiquer certains aspects sanitaires dans la pratique actuelle de leur activité. Mais, ce qu’il faut apprécier dans ces deux exemples, ce sont les idées à développer, à moderniser. Quand un matériel est usé, on doit le remplacer, les bonnes idées d’hier, elles, on se doit de les renouveler…
Pour voir quelques photos: Ces métiers verts que l'on ne connait pas forcement...