« Discussion autour des espaces verts en Algérie » par Karim Tedjani
Mardi dernier, j’ai eu le plaisir de rencontrer au Jardin d’essai d’Alger Mlle Katherina Fies, une jeune chercheuse allemande, Mr Mathias Jehling de l’université allemande de Baden –Württemberg ainsi que Mr Redouane Bourkiche, ingénieur de projet algérien pour le bureau d’étude environnementale « EcoPlan ». Ces derniers, en collaboration avec la Giz (coopération internationale allemande) réalisent une étude de normalisation sur des espaces verts en Algérie et, ils m’on sollicité pour leur donner mon avis sur le sujet.
Mlle Fies m’explique que la finalité première de la thèse qu’elle a entamée est de quantifier les besoins de la société algérienne en espaces verts, mais qu’elle a commencé aussi à réfléchir à l’aspect qualitatif du problème. Pour ce faire elle a visité cinq wilayas (Biskra, Bejaïa, Sétif, Annaba, Alger) avec l’aide des universités de ces grandes villes. Son constat est sans appel : les espaces verts qu’elle a visités souffrent d’un manque sérieux de gestion et d’encadrement. De ce fait, ils sont souvent très dégradés. De plus, elle m’informe que certains de ses interlocuteurs lui ont affirmé que la demande en la matière n’était pas importante. D’autres, encore, ont affirmé que la population féminine était la moins concernée…
Je lui réponds à ce propos que c’est mal connaitre l’évolution que la société algérienne moderne est en train d’effectuer. Il suffit de constater l’énorme succès du jardin d’essai d’Alger pour affirmer qu’au contraire la demande est bien là et qu’elle est même croissante. De plus, je lui précise que beaucoup jeunes femmes, souvent des étudiantes, viennent se changer les idées dans ce parc, de même que de nombreuses mères de familles s’y rendent sans leur époux afin d’emmener leur enfants se distraire dans ce paradis floréal. Il faut dire que la propreté, le calme ainsi que la sécurité des lieux y sont pour beaucoup. Le jardin d’essai d’Alger est un espace vert prestigieux, admirablement bien géré et surtout très bien encadré par un personnel disponible et compétent.
Pourtant, il n’y a pas longtemps de cela, avant qu’il ne soit repris en main, ce parc était malfamé et complètement à l’abandon. Pour ma part, je considère que cette belle réussite porte en elle bien des enseignements à tirer sur l’avenir des espaces verts en Algérie. Bien sûr, Alger est un cas particulier dans ce domaine; les espaces verts sont très présents dans cette capitale qui est à considérer comme étant une des plus belles de la méditérranée. Mais, même si l'exemple de cette ville est la preuve que ,dans ce pays, il existe un vrai savoir faire en la matière, il n'est pas forcement ausi évident de s'en rendre compte dans bien des autres agglomérations urbaines du territoire algérien.
La clef du problème, il me semble, réside avant tout dans un encadrement pertinent d’une population qui dans sa majorité, n’a pas encore la mentalité adéquate pour évoluer dans des espaces verts situés en zone urbaine. Cette carence comportementale n’est d’ailleurs pas forcement liée à la Nature profonde des algériens, mais plutôt au fait que la société algérienne, évoluant dans un pays en voie de développement, est en pleine mutation.
Avant et après son indépendance, l’Algérie a connu de nombreuses vagues d’exodes ruraux vers les grandes villes ainsi qu’une croissance démographique, qui, à l’échelle planétaire, a été une des plus conséquente. Ces deux facteurs ont sensiblement bouleversé l’équilibre des grandes agglomérations urbaines. Elles ont dû s’agrandir de façon souvent fulgurante et chaotique. Cela a généré de grandes lacunes en ce qui concerne les infrastructures de ces villes, de même que les « arrivistes » (terme qualifiant les nouveaux arrivants) n’eurent pas forcement connaissance des codes sociaux à respecter dans une grande ville. Enfin, au regard des nombreuses déficiences des commodités publiques, telles que les canalisations d’eau courantes, de gaz de ville et d’électricité, la priorité a été donnée à la mise aux normes de ces dernières, relayant ainsi au statut de « luxe » la création d’espaces verts auquel il n’est pas urgent d’accéder. Enfin, il faut insister sur le fait que les jeunes algériens n’ont pas beaucoup voyagé, contrairement à leurs aînés qui ont connu une époque où les ressortissants de ce pays pouvaient se déplacer hors de leur territoire sans la moindre difficulté administrative. Ainsi, cette génération d’algériens n’a pas eu l’occasion de comparer d’autres modes de vie que le leur, ce qui les a fort pénalisé dans bien des domaines. Ne dit-on pas que les voyages forment la jeunesse ? Je suis persuadé que si ces jeunes avaient l’opportunité de se rendre dans des jardins publics tels que celui du Luxembourg, à Paris, où bien encore Central Park à New York, ils auraient un tout autre regard sur les espaces verts…
Pourtant, les algériens ont de tout temps très friands de pique-niques en famille, d’activités sportives ainsi que de promenades romantiques en amoureux, de concerts en plein air. Qui pourrait démentir le fait que les espaces verts sont les cadres privilégiés pour tout cela ? La difficulté, est de réunir toutes ces aspirations dans un même espace, sachant qu’elles ne sont pas forcement compatibles avec la mentalité des algériens qui ont tendance à compartimenter systématiquement les choses.
Le père de famille n’apprécie pas forcement la présence des jeunes célibataires alors qu’il se prélasse dans la verdure avec son épouse et ses enfants. La société algérienne est très pudique, les jeunes amoureux ne sont pas les bienvenus dans les espaces publiques. Il suffit de savoir que dans le Jardin d’Essai, ils sont traqués sans relâche par les gardiens de ce parc. Une partie de football peu vite devenir une gêne pour les autres et, quand on sait le caractère sanguin de bien des algériens, il y a souvent des risques de disputes qui peuvent dégénérer quand elles se déroulent dans des espaces qui ne sont pas prévus à cet effet. Bref, il faut, pour concevoir ces espaces verts, tenir compte des particularités d’un pays dont l’Islam est un des fondements, même s’il est pratiqué avec beaucoup de tolérance dans ce pays, malgré les préjugés qui persistent dans les pays occidentaux à ce propos. Je suis persuadé que la meilleure politique en la matière est de créer beaucoup de petits et moyens espaces avec des rôles bien définis, afin d’éviter les regroupements de masse, source d’incivisme, ainsi que les conflits d’intérêts entre les visiteurs. Il faut, de plus, les munir d’un personnel qualifié qui aura pour mission d’encadrer les visiteurs et de veiller à ce que la cohésion entre eux soient assurée. Il n’est pas question, non plus, de diviser la société algérienne. Les espaces verts doivent garder ce rôle essentiel qu’il leur incombe, celui de permettre aux citoyens de se retrouver, d’échanger voire et de partager…Pour cela il est nécessaire de mettre en place un programme d’animations et d’événements culturels dans leur enceinte.
Il n’est pas inopportun de rappeler, aussi, que dans la culture islamique, le jardin joue un grand rôle, puisque, dans le Coran, le paradis est représenté comme étant le plus fabuleux. Dans le chef d’œuvre de la littérature arabo-persane, les « Mille et unes nuits », de nombreux passages sont dédiés à la description de jardins extraordinaires. Les oasis sont considérés comme étant des lieux sacrés et, ce sont bien des espaces verts. Il n’y a donc pas d’incompatibilité entre les espaces verts et la culture islamique.
Puis, j’interroge mes interlocuteurs afin de savoir si ils ont l’intention, dans leur normalisation qualitative des espaces verts en Algérie, d’utiliser la flore indigène qui, est d’une grande diversité. Rappelons-le, la flore algérienne dispose de plus de deux mille espèces de fleurs et de plantes et, son taux d’endémisme avoisine les douze pour cent. Le climat algérien est certes méditerranéen, mais avec beaucoup de particularités, ce qui a favorisé ce fort taux d’endémisme. Enfin, il est important de rappeler, Napoléon III a introduit beaucoup d’espèces algériennes dans la flore de la Corse, que l’on appelle « l’Ile de Beauté ». Ils me répondent qu’ils en ont effectivement bien l’intention, mais que les données dans ce domaine font largement défaut…
« Il existe bien, en Algérie, une liste de végétaux à utiliser pour les espaces verts, mais elle comporte surtout des spécimens exotiques ! », me fait remarquer Mr Mathias Jehling…
Mlle Fies me fait part aussi de sa grande difficulté à adapter ses méthodes d’investigation pour faire une normalisation quantitative à une société algérienne où le partage de l’information n’est pas encore une évidence. Le but premier de sa thèse est de déterminer avant tout la superficie d’espaces verts, et ce par habitant, nécessaire dans ce pays. Je lui réponds qu’elle devrait s’appuyer sur la source intarissable d’informations qui existe dans la sphère associative algérienne. Je lui propose d’entrer aussi en contact avec les acteurs locaux de la société civile afin de pouvoir obtenir les données dont elle a besoin. Il y a aussi, les ruraux, et plus particulièrement les personnes âgées qui devraient être plus consultés par nos chercheurs ; car le respect de la Nature n’est pas une chose nouvelle en Algérie, bien au contraire. Je rappelle à mes interlocuteurs que nous disposons d’une culture traditionnelle qui devrait être plus considérée d’autant qu’elle recèle de nombreuses règles de vie en totale harmonie avec la Nature. Quand certains parlent d’apprendre aux algériens les éco-gestes, j’aimerais qu’ils leur permettent avant tout de se réapproprier nombres de nos coutumes dont les fondements sont intimement liés au respect de l’environnement….
Mr Bourkiche me rejoint sur le fait qu’en Algérie, l’information ne circule pas facilement et que les algériens, comme beaucoup d’habitants de pays arabes, ont encore du mal à comprendre que partager les données est un facteur très important pour se développer. Il cite, en contre exemple, les Iraniens qui, eux, partagent sans la moindre appréhension tout ce qu’ils apprennent. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai crée « Nouara » dont la principale devise est « partager l’information ». J’ai voulu aussi répondre à forte demande de la part des acteurs de l’environnement en Algérie, qu’ils soient algériens ou bien encore étrangers, qui ont besoin de trouver la bonne information assez rapidement. Pour moi, c’est un travail qui, bien que certains le considère comme anecdotique, joue un rôle important dans la diffusion de la culture écologique en Algérie.
Nous concluons ensemble que les espaces verts en Algérie doivent être plus développés, de même qu’ils doivent être gérés avec plus d’efficience. La nécessité d’encadrer le public est primordiale ; chaque espace vert doit avoir ses propres gardiens et disposer de panneaux informant leurs visiteurs sur les bons comportements à adopter pour qu’ils restent en bon état. La conception de ces parcs doit intégrer les particularités culturelles de ce pays et privilégier les espèces locales qui sont les mieux adaptées au climat si particulier de ce territoire. Leur entretien quotidien, la mise à disposition de nombreuses poubelles, la qualité des services ainsi que des informations fournis aux visiteurs, tout doit inspirer le respect et inciter les citoyens algériens à considérer ces espaces verts comme des lieux où tout n’est pas permis. Les commerçants qui ont des stands dans ces parcs doivent être mis à contribution à cet effet et, une politique d’incitation fiscale doit être mise en place afin qu’ils privilégient la vente de produits dont les avec des emballages peu polluants ; j’évoquais à ce propos l’utilisation exclusive de bouteille en verre ainsi que l’interdiction de distribuer des sacs plastiques dans l’enceinte de ces espaces verts, ainsi qu’une taxe dédiée au maintien de la propreté des lieux. Un organisme national et local de vigie écologique doit aussi être mis en place avec plus d’insistance afin que des contrôles réguliers soient effectués pour veiller au bon fonctionnement de ses lieux qui peuvent générer beaucoup d’emplois, tels que des gardiens, des jardiniers, des animateurs, des commerçants, des artisans ect…
J'aimerais, à titre personnel, ajouter que le secteur des espaces verts, dans un pays comme l'Algérie en plein stress hydrique , doit intégrer la notion de la gestion de l'eau comme étant un facteur indispensable à leur bon fonctionnement. Ces espaces doivent permettre non seulement de participer à l'économie d'eau, mais, aussi, à sensibiliser le public algérien sur l'importance de ne plus gaspiller une ressource qui, pour l'instant, fait sérieusement défaut à notre pays. Là aussi, des procédés traditionnels doivent être réactualisés car dans le désert saharien, on économise l'eau depuis toujours.
Les espaces verts sont loin d’être de simple luxe pour l’Algérie. Ils participent au bien-être ainsi qu’à la cohésion sociale et peuvent contribuer à diversifier les activités dans l’économie de ce pays qui ne peut seulement compter sur une rente pétrolière dont la durée ne sera pas éternelle.
Mlle Katherina Fies
Mr Mathias Jehling
Redouane Bourkiche