Temoignages: L'oued Sébaou ou le drame écologique
Sébaou mon amour, qu'a-on fait de toi? A chaque fois que je longe ta rive, et que je revois ce que tu es devenu, je ne peux m'empêcher de laisser couler quelques larmes.
Sébaou mon amour, qu'il est loin le temps, où la population de Tadmaït se nourrissait de tes poissons et de tes anguilles. Qu'il est loin le temps où, assis à l'ombre des sols pleureurs, des peupliers et autres arbres qui te bordaient, nous lancions nos hameçons dans ton eau si claire et si limpide, que nos silhouettes et nos canes s'y miraient. Le spectacle qui s'offrait alors à nous, celui de poissons se précipitant pour se disputer nos appâts, nous fascinait. Qu'il est loin le temps où nous remontions ton courant en amant, munis d'un long filet pour la grande pêche. Des dizaines de poissons venaient s'enchevêtrer dans ses mailles, se débattant en vain, pour se libérer. Nous remplissions des paniers entiers, que nous allions distribuer au village. Qu'il est loin le temps où après la pêche, nous allumions un feu de bois pour griller quelques poissons au déjeuner. Qu'il est loin le temps où nous étions encore enfants, tu nous accueillais durant les interminables et brûlantes journées d'été, pour nous rafraîchir et nous abreuver de ton eau si limpide, si pure. Qu'il est loin le temps où en hiver tu te déchaînais, tes eaux emportaient tout sur leur passage. Elles débordaient alors de ton lit, pour aller inonder les orangeraies et les vignobles, jusqu'à la route nationale qui longe la voie ferrée. Tu pouvais rester ainsi des jours, condamnant les gens à rester chez eux.
Sébaou mon amour, toi le témoin de tant d'amitiés qui se sont tissées sur tes rives et dans tes eaux; toi le témoin des merveilleux moments que nous avons passé en ta compagnie; toi qui a fait partie de notre enfance, qui est notre enfance, pourquoi t'ont-ils fait ça ?
Sébaou mon amour, si l'on pouvait décoder le bruissement de tes eaux qui ne coulent plus qu'en hiver, que de pages d'histoire de toute la vallée que tu traverses il nous révélerait.
Sébaou mon amour, je ne te reconnais plus, tu n'offres plus qu'un spectacle apocalyptique, de désolation, ils t'ont défiguré. Ne devrait-on pas juger tes bourreaux, pour crimes « contre la nature »? Le moment n'est-il pas venu pour que le TPI se saisisse aussi, des crimes commis contre l'environnement.
Sébaou mon amour, j'écris et je cris ton nom, à la face du monde. J'aimerais tant que je sois entendu, pour qu'on sache que tu as bel et bien existé, que tu as eu des siècles et des siècles de gloire. Pour qu'on sache que ce que la nature a façonné en des milliers d'années en Algérie, des hommes incultes, irresponsables, avides de gains faciles, sont en train de le détruire irréversiblement. En quelques décennies, ils ont fait une razzia.
Sébaou mon amour, chaque fois que je passe devant toi, je sens ton cœur battre encore moins fort, je sais que tu agonises. En témoigne la disparition totale des poissons, des grenouilles et des algues, de ce qui reste de tes eaux polluées. Je n'ai que mes larmes pour te pleurer, car je ne peux rien contre ces gens aux reins solides, qui ont juré ta mise à mort, en te retirant d'une manière effrénée tout ton sable. Dire que ton lit est descendu d'au moins trois mètres ! Je ne peux rien contre le laxisme des pouvoirs publics. Je ne peux rien contre ces communes et ces gens, qui déversent tout le long de tes 50 kilomètres des ordures, des cadavres d'animaux, des œufs pourris, et bien d'autres détritus. Je ne peux rien contre ceux qui ont juré, d'ôter à la Kabylie ce qu'elle a de plus chers, ses poumons que sont le Sébaou et la Soummam. En vous enlevant à nous, n'y a t-il pas une volonté de nous affamer, quand on sait que toutes les terres irrigables et cultivables de Kabylie, sont de part et d'autre de vos lits ? Ont t-ils juré d'étouffer la Kabylie en tuant son écosystème? Tout porte à le croire. C'est aussi un aveu d'échec des pouvoirs publics qui sont incapables depuis le temps, de trouver des solutions de rechange à l'exploitation du sable des oueds et des plages.
Sébaou mon amour, pardonne nous de n'avoir pas su te protéger, pardonne nous notre lâcheté. Sébaou mon amour, je ne cesserai jamais de te pleurer, tu es une partie de moi même, avec toi je dépéris.
Par Mus
Le Sébaou, dans la vallée serpente
il te raconte et chante
des millénaires d'histoire qui te hantent
Écoute-le murmurer!
Avec l'accent de ses galets
il te parle du passé
Témoin survivant des temps
il écrit la mémoire de tes parents
ton passé mais aussi ton présent
Il garde dans son lit
des siècles de récits
regarde le il est béni
Zehira Kara